« Imaginez telle personne à qui il vous répugnerait de serrer la main, et telle autre avec qui parler vous donne le vertige. Imaginez encore celle-ci que vous méprisez, ou celle-là dont vous avez honte. Imaginez toutes ces personnes que vous ne fréquenteriez pour rien au monde et leur nombre considérable. Imaginez que cette masse un jour vous prenne en affection, vous admire, vous aime et le fasse savoir par monts et par vaux. Imaginez cette masse indigne disant tout ce bien de vous : c’est ce que l’on appelle la popularité. Les assiduités d’une personne qui nous répugne sont un inconvénient ; que si cet inconvénient se trouve cependant un jour multiplié par l’innombrable de la foule, de la masse dont émane à notre égard une admiration non définie, l’inconvénient, pour la plupart, se change en jouissance…
Lorsqu’ils envient la célébrité, les anonymes envient ainsi ceux qu’acclame la somme des individus qu’ils méprisent ; ils seraient et ils sont prêts à tout pour que ceux qu’ils contemptent les plébiscitent. L’on n’a vécu la célébrité que lorsque la quantité des enthousiastes fait oublier qu’on ne passerait pas une minute avec l’un d’entre eux.
Bruyante, la popularité attroupe en un point de fixation inflatif la bassesse qui motive chacun des suffrages. Il en va d’une burlesquerie que quiconque en soit fier. Mais qu’on y puisse devenir méprisant est obscène, puisque l’on ne s’y trouve précisément que pour n’avoir pas méprisé le mépris. »
Maxence Caron, Immédiates IV (à paraître)
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